Catégorie : Les grands et les petits maux

  • « Une certaine appréhension  »

    « Une certaine appréhension »

    Je me souviens c’était un lundi matin je crois. Le 8 septembre 2020, cela faisait 2 jours que j’avais ma nouvelle voiture et j’étais très heureuse d’intégrer un nouveau service malgré une certaine appréhension, parce que ce n’était pas mon choix. Quand je suis arrivée dans le service où j’ai été mutée, la dynamique de l’équipe était rassurante, je sentais la vraie cohésion d’équipe.

    À mon arrivée cependant, j’ai senti l’anxiété de certains soignants, car ils pensaient que mon arrivée était synonyme de changement, d’organisation du service, car mon projet professionnel n’était pas le même que le leur.

    V.

  • « Ne pas m’attacher pour ne pas m’émouvoir »

    « Ne pas m’attacher pour ne pas m’émouvoir »

    Je me souviens, c’était un lundi. Le 7 février, cela devait durer 48 heures. Une semaine et demie après, je suis encore là. Il faisait bon ce matin-là, je crois. Je ne me rappelle pas. J’avais comme d’habitude, préparé une valise en avance, calmement, pour avoir moins peur, me sentir en sécurité. J’avais prévu du rechange, au cas où ce séjour s’étendrait. Bien m’en a pris. Il était important que ma valise ne soit pas trop lourde, j’aurais eu l’impression de m’installer. J’ai tellement peur de l’hospitalisation, de m’habituer à venir, d’aimer être hospitalisée, de trouver trop sympa les soignants.

    Ce n’était pas la première fois que je venais dans l’unité Lhermitte. Je connais le personnel. Saluer des têtes connues facilite mon intégration. L’accueil était chaleureux. Aux admissions aussi, je suis « réputée ». On m’avait prévu la chambre 39, dont les radiateurs dysfonctionnent, j’avais donc prévu d’ajouter 1 pull dans mes affaires, au cas où je me retrouverais dans cette piaule. Ce n’est pas de ma faute, mais ma mutuelle était injoignable. L’an passé le protocole avait changé et je savais que je pouvais me retrouver en salle avec les autres patients rapidement.

    Je me sentais le cul entre 2 chaises : se faire discrète, rester à distance ou participer aux conversations. Je ne me présentais pas, et m’efforçais de retenir les prénoms des unes et des autres. Je me sentais étrangère, mal à l’aise à être présente tout en souhaitant être transparente. Ne pas m’attacher, pour ne pas m’émouvoir des coups de mou de l’autre. Laisser chacun faire son chemin. Espérer qu’elles et qu’ils s’en sortent.

    E.

  • « Le jour du nouveau départ, une renaissance »

    « Le jour du nouveau départ, une renaissance »

    Je me souviens le 11 octobre 2021, le jour du nouveau départ, une « renaissance ». Comme toute venue au monde, les larmes tombent. Sourire crispé au coin de la bouche de ma femme qui jette un regard à la montre, il est l’heure de sortir de la voiture et de se diriger vers le bâtiment dans lequel l’inconnu m’ouvre les bras.

    La valise est lourde, mais cette pompe dans ma poitrine l’est davantage. J’essaye de synchroniser mes pas avec ceux de ma moitié, mais le temps manque, me voilà déjà arrivé. Je me souviens de l’état dans lequel j’étais, si il fallait le décrire je dirais instable comme le temps qu’il faisait ou encore moche comme le bruit provenant de cet ascenseur de marque Koné.

    Je me souviens de ce 11 octobre, de son odeur, ses humeurs, ce 11 octobre hospitalisé.

    B.

  • « Comment me construire une carapace pour me protéger »

    « Comment me construire une carapace pour me protéger »

    Je me souviens comme si c’était hier de ce lundi 31 janvier où je me devais de quitter la clinique de l’Amandier où je réside depuis 1 mois et 1 semaine. J’y avais pris mes petites habitudes et m’étais faite à l’ensemble de l’équipe soignante. C’est donc avec un nœud au ventre que je terminais mon maigre petit déjeuner à l’idée d’intégrer le service du docteur Ringuenet.

    Bien sûr je n’étais jamais montée dans ce service, mais la seule lecture de la plaquette présentant les différentes modalités de l’hospitalisation me rendait malade à l’avance. Entre la fouille et la saisie de certaines affaires personnelles, l’obligation de déjeuner en salle commune, la confiscation des téléphones, les chambres sans télé… En montant dans mon taxi pour Paul Brousse, j’avais l’impression de rentrer en prison.

    Ce matin-là, le ciel était d’un bleu azur, aucun nuage n’apparaissait dans le ciel, seuls les rayons du soleil me réchauffaient à travers les vitres. Pour moi plus rien n’avait d’odeur, de saveur, je me sentais seule au monde : un vide sidéral s’ouvrait à moi. J’avais le sentiment de tout perdre, ma liberté, ma joie de vivre, plus aucune envie de rien, mais aussi et surtout ma famille qui est tout pour moi. Quand aurions-nous l’occasion de nous revoir ?

    Aux Amandiers les visites étaient quotidiennes et là je savais déjà qu’elles se réduiraient à 1 heure par semaine et 1 personne. Je voyais cela comme 1 heure de parloir. Enfin le taxi me dépose devant la porte d’entrée. Karim, le chauffeur ou plutôt mon chauffeur attitré, puisque c’était lui qui durant tout le séjour aux Amandiers m’avait pris en charge et chaque fois nous avions des conversations fortes intéressantes.

    Arrivée à l’étage je revois encore ce long couloir qui m’a paru effrayant. Personne, aucune personne ne semblait y déambuler. Immédiatement j’ai été frappée par le hublot présent sur chacune des portes de ce que je pensais bien être les chambres. Ces fameux hublots chargés d’un store m’ont terrorisée, je ne savais plus si j’allais rentrer en prison ou si j’allais être internée. Je n’avais qu’une envie, c’était de fuir.

    Au même moment, une infirmière me demande sur un ton qui m’a paru d’une grande sévérité, presque agressive, de traverser l’hôpital pour aller aux admissions. Ayant repris l’ascenseur me voilà dehors vêtue de ma mini-jupe beige et de mes traditionnels sabots de l’Ile de Ré qui ne me quittent jamais. Durant tout le trajet aller et retour entre ce foutu étage de TCA (Troubles des conduites alimentaires) et les admissions, je me demandais comment je pourrai me dérober. J’hésitais à fuir à pied, partir loin ou appeler Pierre et le prier de venir me chercher.

    Non, je savais au fond de moi que cela n’aurait servi à rien, il souhaite tant que je guérisse. J’étais comme prise au piège, j’avais le sentiment d’être cernée. Une fois de retour à l’étage on m’a emmenée dans ma chambre : la chambre 33. En y entrant, j’ai été saisie par l’austérité, l’exiguïté. Où était ma grande chambre des Amandiers ? À cet instant ce n’était plus l’image de la prison qui me tenait, mais cela m’a plutôt rappelé les nombreux séjours que j’ai faits dans ma jeunesse puis plus tard en couple ou en famille, dans les couvents pour des retraites. J’avais envie de fermer les yeux, pour ressentir l’odeur de l’encens, de la cire des cierges qui fondent, d’imaginer les statues et prie-Dieu. De m’évader ainsi quelques instants comme si j’avais la possibilité de me lover contre le Seigneur afin qu’il me protège, me rassure voir même me sauve !

    En vain, je ne pouvais pas fermer les yeux, cette même infirmière, celle qui m’avait terrorisée dès mon entrée était là, avec toujours son ton sec et effrayant. Elle n’était pas seule, il y avait aussi X. que je connaissais déjà, puisqu’avant d’avoir été transférée aux Amandiers j’avais passé 2 mois et demi en nutrition clinique où nous avions fait connaissance. En attendant les deux infirmières avaient chacun de mes bagages : chaque objet, chaque vêtement… était tâté, observé et bien évidement confisqué.

    Je revois encore cette pauvre paire de chaussettes grises qui n’avait rien demandé et que l’infirmière défaisait pour vérifier que je n’y avais pas caché quelque chose. Que l’on me confisque mon téléphone, ça je m’y attendais, mais ce qui m’a agacée et m’agace toujours et que je ne comprends pas, c’est pourquoi nous prendre nos pots de crème, bouteille de parfum… Comment pouvais-je survivre sans, moi qui suis si coquette. Mais surtout je ne comprenais pas le sens, tout cela m’a paru d’une violence extrême : j’étais comme nue. Une fois les infirmières parties il me fallait ranger cette montagne de vêtements et affaires personnelles qui était en vrac sur mon lit.

    C’est en pleurant et assise sur mon lit que je prenais un à un chaque vêtement pour les plier ou plutôt les replier. J’avais à chaque fois que je prenais un vêtement, l’impression d’égrener un chapelet. C’est bien le cœur gros, que seule dans cette chambre, je réfléchissais à comment me construire une carapace pour me protéger. Je ne comprenais plus rien. Je crois me souvenir que je ne savais même plus pourquoi j’étais là. Je ne ressentais que de l’amertume, de la tristesse, mes larmes auraient pu remplir un océan.

    Aujourd’hui cette infirmière qui m’avait terrorisée, j’ai appris à la connaitre et paradoxalement, c’est celle que peut-être j’apprécie le plus aujourd’hui. Elle est en réalité très professionnelle, mais aussi et surtout d’une gentillesse extrême, elle fait partie de celle vers qui j’aime m’épancher lorsque j’en ai besoin, j’apprécie sa franchise.

    Pour revenir à mon arrivée ici, je dirais pour conclure que ce sont les sentiments, les émotions qui m’ont envahie ce jour-là, qui m’ont le plus marquée. Cela vient probablement de ma personnalité : comme vous pouvez le deviner je suis une personne extrêmement sensible et très vite déstabilisée à par l’inconnu. Pour moi rentrer dans un service de psychiatrie à lui tout seul était effrayant.

    M.

  • « Ce jour où je suis entrée dans l’ombre  »

    « Ce jour où je suis entrée dans l’ombre »

    Je me souviens de ne pas vouloir me souvenir. Ni du soleil de ce jour où je suis entrée dans l’ombre comme on entre dans un cercueil, ni des couloirs hauts, longs, froids, contrastés par la chaleur de l’amour de ma mère.

    Je ne veux pas me souvenir des visages tristes que j’ai croisés, des zombies abandonnés qui erraient. Et je voulais oublier les grilles préventives de l’escalier au bas duquel on ne pouvait pas se jeter. Je ne veux pas me souvenir de ma mère disparaissant par la porte verte du bout du couloir, du tri des affaires qu’on me confisquait pour ne pas me tuer et de la fenêtre depuis laquelle, au-delà de la barrière je voyais continuer la vie.

    Je ne veux pas me souvenir de la chambre à la peinture vieillie et craquelée, de la taille de l’araignée dans un angle du mur et de ma tête. Ne pas me souvenir des voitures qui sortent et de moi qui reste, de la salle de bain fermée, du ballet des soignants entrant, sortant, entrant, sortant. Je ne veux pas me souvenir du temps ni de la nuit que j’attends. Je ne veux pas me souvenir, car j’aurais aimé ne pas connaître.

    A.

  • Squid Game : plusieurs fois déçue…

    Squid Game : plusieurs fois déçue…

    Il était tard, les enfants dormaient depuis une heure environ. Enfin une journée qui se finit tôt. Installée au bord de mon lit, au pied du lit plus exactement, comme s’il n’y avait pas de place, je me suis jetée sur la télécommande avec la hâte de pouvoir enfin visionner le dernier épisode tant attendu de Squid Game.

    Dans cet épisode il était bien possible de lâcher l’écran des yeux, alors j’en ai profité pour tenter de finir le drap en crochet promis depuis 9 mois. Quelle mission ! Ah, j’ai été déçue par le dénouement de la série ! Ce n’était pas ma seule déception ! Premièrement, le format : inhabituel pour une série coréenne, mais malgré tout l’intensité était là et respectée. Deuxièmement, que le jeu soit l’idée pour amuser des riches occidentaux alors qu’en général les conflits de classes sociales sont souvent plus flagrants et internes au pays.

    Pour finir, cette fin qui suggère une autre saison, alors que cela semble déraisonnable et moins logique, j’ai fini ma soirée en étant mitigée. J’ai eu l’impression que le réalisateur a fait un essai, vu comment le public réagissait et a adopté son scénario. Squid game, pas sûr que je regarde la suite, mais étant fan de drama, pas sûr que je me retienne de regarder pour voir ce que nous a réservé le réalisateur.

    V.

  • « Est-ce par nos points communs : femmes du même âge, mère de famille, par sa foi ?  »

    « Est-ce par nos points communs : femmes du même âge, mère de famille, par sa foi ? »

    Je me souviens de ce soir où j’ai découvert pour la première fois via internet, puisque nous n’avions pas la télévision, l’émission de Thierry Ardisson, « Salut les Terriens ! ». Ce soir là, il avait pour invitée une journaliste, Anne-Dauphine Julliand, qui venait présenter son livre : « Deux petits pas sur le sable mouillé ». Cette jeune femme raconte dans ce livre la dure épreuve qu’elle et son mari ont dû subir.

    Ce couple au moment des faits a 2 enfants, Gaspard l’aîné et Thaïs. Alors que Thaïs n’a que 3-4 ans, Anne-Dauphine et son époux apprennent que leur fille est atteinte d’une maladie rarissime dont l’issue est inéluctable. À l’instant même où je vois cette jeune femme raconter cette dure épreuve qui est celle d’accompagner sa fille chérie à la fois dans la maladie, mais aussi dans la mort, avec toute la douleur, les difficultés, les angoisses… je suis happée par son rayonnement, sa force…

    Je constate aussi par la lucarne de mon ordinateur que Thierry Ardisson et ses invités sont eux aussi bluffés par ce courage. Au moment où j’écoute cette émission, moi aussi je suis touchée par la maladie et suis à la veille de me faire opérer des reins. Cette figure toute particulière par son témoignage me transmet instinctivement, comme par magie, sa force. Est-ce par nos points communs : femmes du même âge ou presque, mère de famille, par sa foi ? Je ne saurai le dire aujourd’hui.

    Je demande donc à mon cher mari de m’offrir ce livre, ce qu’il fait et dès le lendemain. Il me l’apporte à l’hôpital où je vais le lire d’une traite. Dans ce livre, alors que l’histoire est triste, je n’y puiserai que de la force et de la joie. Cette femme, je continue à la suivre, d’autant plus qu’elle reste toujours présente dans l’actualité en écrivant d’autres livres toujours sur sa vie.

    Il faut savoir qu’après Thaïs, elle a eu une deuxième fille qui elle aussi sera atteinte de cette même maladie et en mourra. Alors que je vous écris ces modestes lignes, j’ai appris que Gaspard, son fils aîné, qui aurait dû avoir 20 ans le 22 janvier, s’est donné la mort le 21 janvier. Date qu’il n’a probablement pas choisie par hasard, puisque Thaïs est décédée un 21 février, Azilis un 21 décembre.

    Aujourd’hui il ne lui reste plus qu’Arthur, âgé de 14 ans. Une fois encore le témoignage d’Anne-Dauphine et de son époux lors de l’enterrement de Gaspard est à couper le souffle ! La question qu’on peut se poser est comment fait-on pour se relever et porter avec autant de force et de joie autant d’épreuves tout en transmettant aux autres ? Aujourd’hui encore, je ne rêve que d’une chose c’est de la rencontrer.

    M.

  • « En attendant un autre lendemain »

    « En attendant un autre lendemain »

    De ma fenêtre je vois un escalier sombre, froid et métallique. Cet escalier qui derrière lui laisse entrevoir un jardin un peu défraîchi. Le petit jardin comme on l’appelle ici. Petit jardin où l’on sort pour la première fois, où l’on refait ses premiers pas. Un jardin où déambulent les âmes égarées, la clope au bec et les yeux dans le vague. Un jardin où les pigeons se battent pour quelques morceaux de pain détrempés par la pluie, où des rats traversent aussi quelquefois. Il n’a rien d’un véritable jardin.

    Quand la nuit vient à tomber, je vois le soleil se coucher. Il descend, calme et serein puis disparaît derrière les murs de briques. Ah qu’est-ce que j’aimerais l’ouvrir en grand cette fenêtre, m’y pencher pour respirer. Je reste là, debout, le dos bien droit, la poignée dans la main en attendant un autre lendemain.

    A.