Étiquette : JE ME SOUVIENS

  • « Comment me construire une carapace pour me protéger »

    « Comment me construire une carapace pour me protéger »

    Je me souviens comme si c’était hier de ce lundi 31 janvier où je me devais de quitter la clinique de l’Amandier où je réside depuis 1 mois et 1 semaine. J’y avais pris mes petites habitudes et m’étais faite à l’ensemble de l’équipe soignante. C’est donc avec un nœud au ventre que je terminais mon maigre petit déjeuner à l’idée d’intégrer le service du docteur Ringuenet.

    Bien sûr je n’étais jamais montée dans ce service, mais la seule lecture de la plaquette présentant les différentes modalités de l’hospitalisation me rendait malade à l’avance. Entre la fouille et la saisie de certaines affaires personnelles, l’obligation de déjeuner en salle commune, la confiscation des téléphones, les chambres sans télé… En montant dans mon taxi pour Paul Brousse, j’avais l’impression de rentrer en prison.

    Ce matin-là, le ciel était d’un bleu azur, aucun nuage n’apparaissait dans le ciel, seuls les rayons du soleil me réchauffaient à travers les vitres. Pour moi plus rien n’avait d’odeur, de saveur, je me sentais seule au monde : un vide sidéral s’ouvrait à moi. J’avais le sentiment de tout perdre, ma liberté, ma joie de vivre, plus aucune envie de rien, mais aussi et surtout ma famille qui est tout pour moi. Quand aurions-nous l’occasion de nous revoir ?

    Aux Amandiers les visites étaient quotidiennes et là je savais déjà qu’elles se réduiraient à 1 heure par semaine et 1 personne. Je voyais cela comme 1 heure de parloir. Enfin le taxi me dépose devant la porte d’entrée. Karim, le chauffeur ou plutôt mon chauffeur attitré, puisque c’était lui qui durant tout le séjour aux Amandiers m’avait pris en charge et chaque fois nous avions des conversations fortes intéressantes.

    Arrivée à l’étage je revois encore ce long couloir qui m’a paru effrayant. Personne, aucune personne ne semblait y déambuler. Immédiatement j’ai été frappée par le hublot présent sur chacune des portes de ce que je pensais bien être les chambres. Ces fameux hublots chargés d’un store m’ont terrorisée, je ne savais plus si j’allais rentrer en prison ou si j’allais être internée. Je n’avais qu’une envie, c’était de fuir.

    Au même moment, une infirmière me demande sur un ton qui m’a paru d’une grande sévérité, presque agressive, de traverser l’hôpital pour aller aux admissions. Ayant repris l’ascenseur me voilà dehors vêtue de ma mini-jupe beige et de mes traditionnels sabots de l’Ile de Ré qui ne me quittent jamais. Durant tout le trajet aller et retour entre ce foutu étage de TCA (Troubles des conduites alimentaires) et les admissions, je me demandais comment je pourrai me dérober. J’hésitais à fuir à pied, partir loin ou appeler Pierre et le prier de venir me chercher.

    Non, je savais au fond de moi que cela n’aurait servi à rien, il souhaite tant que je guérisse. J’étais comme prise au piège, j’avais le sentiment d’être cernée. Une fois de retour à l’étage on m’a emmenée dans ma chambre : la chambre 33. En y entrant, j’ai été saisie par l’austérité, l’exiguïté. Où était ma grande chambre des Amandiers ? À cet instant ce n’était plus l’image de la prison qui me tenait, mais cela m’a plutôt rappelé les nombreux séjours que j’ai faits dans ma jeunesse puis plus tard en couple ou en famille, dans les couvents pour des retraites. J’avais envie de fermer les yeux, pour ressentir l’odeur de l’encens, de la cire des cierges qui fondent, d’imaginer les statues et prie-Dieu. De m’évader ainsi quelques instants comme si j’avais la possibilité de me lover contre le Seigneur afin qu’il me protège, me rassure voir même me sauve !

    En vain, je ne pouvais pas fermer les yeux, cette même infirmière, celle qui m’avait terrorisée dès mon entrée était là, avec toujours son ton sec et effrayant. Elle n’était pas seule, il y avait aussi X. que je connaissais déjà, puisqu’avant d’avoir été transférée aux Amandiers j’avais passé 2 mois et demi en nutrition clinique où nous avions fait connaissance. En attendant les deux infirmières avaient chacun de mes bagages : chaque objet, chaque vêtement… était tâté, observé et bien évidement confisqué.

    Je revois encore cette pauvre paire de chaussettes grises qui n’avait rien demandé et que l’infirmière défaisait pour vérifier que je n’y avais pas caché quelque chose. Que l’on me confisque mon téléphone, ça je m’y attendais, mais ce qui m’a agacée et m’agace toujours et que je ne comprends pas, c’est pourquoi nous prendre nos pots de crème, bouteille de parfum… Comment pouvais-je survivre sans, moi qui suis si coquette. Mais surtout je ne comprenais pas le sens, tout cela m’a paru d’une violence extrême : j’étais comme nue. Une fois les infirmières parties il me fallait ranger cette montagne de vêtements et affaires personnelles qui était en vrac sur mon lit.

    C’est en pleurant et assise sur mon lit que je prenais un à un chaque vêtement pour les plier ou plutôt les replier. J’avais à chaque fois que je prenais un vêtement, l’impression d’égrener un chapelet. C’est bien le cœur gros, que seule dans cette chambre, je réfléchissais à comment me construire une carapace pour me protéger. Je ne comprenais plus rien. Je crois me souvenir que je ne savais même plus pourquoi j’étais là. Je ne ressentais que de l’amertume, de la tristesse, mes larmes auraient pu remplir un océan.

    Aujourd’hui cette infirmière qui m’avait terrorisée, j’ai appris à la connaitre et paradoxalement, c’est celle que peut-être j’apprécie le plus aujourd’hui. Elle est en réalité très professionnelle, mais aussi et surtout d’une gentillesse extrême, elle fait partie de celle vers qui j’aime m’épancher lorsque j’en ai besoin, j’apprécie sa franchise.

    Pour revenir à mon arrivée ici, je dirais pour conclure que ce sont les sentiments, les émotions qui m’ont envahie ce jour-là, qui m’ont le plus marquée. Cela vient probablement de ma personnalité : comme vous pouvez le deviner je suis une personne extrêmement sensible et très vite déstabilisée à par l’inconnu. Pour moi rentrer dans un service de psychiatrie à lui tout seul était effrayant.

    M.

  • « Ce jour où je suis entrée dans l’ombre  »

    « Ce jour où je suis entrée dans l’ombre »

    Je me souviens de ne pas vouloir me souvenir. Ni du soleil de ce jour où je suis entrée dans l’ombre comme on entre dans un cercueil, ni des couloirs hauts, longs, froids, contrastés par la chaleur de l’amour de ma mère.

    Je ne veux pas me souvenir des visages tristes que j’ai croisés, des zombies abandonnés qui erraient. Et je voulais oublier les grilles préventives de l’escalier au bas duquel on ne pouvait pas se jeter. Je ne veux pas me souvenir de ma mère disparaissant par la porte verte du bout du couloir, du tri des affaires qu’on me confisquait pour ne pas me tuer et de la fenêtre depuis laquelle, au-delà de la barrière je voyais continuer la vie.

    Je ne veux pas me souvenir de la chambre à la peinture vieillie et craquelée, de la taille de l’araignée dans un angle du mur et de ma tête. Ne pas me souvenir des voitures qui sortent et de moi qui reste, de la salle de bain fermée, du ballet des soignants entrant, sortant, entrant, sortant. Je ne veux pas me souvenir du temps ni de la nuit que j’attends. Je ne veux pas me souvenir, car j’aurais aimé ne pas connaître.

    A.

  • « Finalement j’ai accepté et décidé de persévérer ! »

    « Finalement j’ai accepté et décidé de persévérer ! »

    Je me souviens, c’était un jour ordinaire, comme tous les autres jours, il restera inoubliable. Comment suis-je arrivée dans cet endroit hospitalier qui s’appelait « Hermite » ? Je me souviens et m’en souviendrai jusqu’au dernier jour de mon existence. Ce jour passé, à moitié endormie, torturée par des cauchemars qui m’habitaient longuement me réveillant avec l’idée que je devais m’effacer. Hélas le destin s’en est mêlé et à guidé aussi mes pensées. J’arrivais au rendez-vous déjà programmé en hôpital de jour, j’éclatais en sanglots sans réfléchir et je murmurais mon mal intérieur.

    À cet instant-là, je ne voyais uniquement des personnes avec des blouses blanches qui essayaient de me calmer et de me mettre en confiance. Dépassée par mes émotions, je ressentais l’angoisse, comme enfermée dans une cage, qui était en fait une pièce de soins. La peur était là : immédiatement je redoutais que j’allais rester dans un monde que je ne comprenais pas. Une pièce miniature avec un lit et une table où j’allais affronter les repas et me reposer obligatoirement afin de combattre mes symptômes. Finalement, peu de temps après, j’ai accepté et décidé de persévérer !

    A.

  • « C’était le jour de l’anniversaire de mon frère »

    « C’était le jour de l’anniversaire de mon frère »

    Je me souviens, c’était le jour de l’anniversaire de mon frère : un jeudi 27 janvier. J’ai pris le bus vers 9h30 avec mon sac à dos et ma valise lourde sur laquelle je me suis à moitié assise pendant le trajet. À l’arrêt suivant celui où je suis montée, le bus s’est rempli et trois hommes debout devant moi se sont mis à parler de leur travail. Je ne comprenais quasiment rien, ils utilisaient du jargon très technique. J’essayais de deviner dans quel domaine ils travaillaient, l’informatique peut-être, car il me semble avoir entendu des mots comme programmation…

    Après quelque temps, je m’en suis désintéressée et je me suis mise à surveiller les arrêts. À la sortie du bus, j’essaye de sortir comme je peux avec ma valise et je la pose sur le trottoir. Il n’est pas lisse, elle roule mal, je la tire, pousse, porte et j’avance avec difficultés vers l’hôpital. J’en ai pour 10 minutes de marche. Je ne fais attention à rien d’autre que le prochain mètre que j’ai à faire avec ma valise.

    Arrivée à l’hôpital, je montre mon passe sanitaire à l’accueil et je rentre. Il ne me reste que quelques pas à faire avant d’entrer dans le bâtiment où je vais vivre les prochains mois. Je me présente à l’accueil, une infirmière vient me chercher et prend ma valise. Le trajet est presque fini, on prend un ascenseur pour monter au premier étage. J’arrive dans le service. Après un peu d’attente et des papiers administratifs à remplir, on me montre ma chambre et une infirmière met ma valise sur mon lit, l’ouvre et commence à en faire l’inventaire. Une fois l’inventaire fini, je peux enfin vider ma valise et m’installer dans ma chambre. Je la laisse dans un coin tout noir, sous une demi-fenêtre fermée, où je vais l’oublier pendant les prochains mois et je vais me coucher dans mon lit.

    C.

  • « C’est un hôpital… pas les jardins de Versailles  »

    « C’est un hôpital… pas les jardins de Versailles »

    Je me souviens, c’était le 22 décembre 2019. Il faisait gris, comme souvent durant l’hiver parisien. J’avais froid et j’étais venu visiter l’hôpital de jour du service des troubles du comportement alimentaire de l’hôpital Paul Brousse. Une visite, une simple visite… cela ne devait être qu’une formalité de quelques heures pour satisfaire une curiosité et imaginer, peut-être, une prise en charge dont j’avais grandement besoin.

    J’avais donc pris ma voiture de bon matin pour traverser le 13° arrondissement puis la très longue avenue qui séparait le périphérique de l’hôpital. Un chemin jalonné par ces barres d’immeubles, son centre commercial insipide et un marché désert… bref, une route terne et triste comme on en trouve beaucoup en région parisienne, une ligne interminable sans couleur ni gaieté hormis celles des feux de signalisation… la parfaite représentation de mon apparence et de mon état d’esprit de l’époque.

    Trente minutes plus tard, avenue Paul Vaillant Couturier… dernier virage… PNC aux portes… j’arrive devant la barrière de l’hôpital. Je suis accueilli par un charmant monsieur qui me demande ma convocation et qui m’indique le bâtiment. Il est là, tout près, juste sur ma droite, tout en brique rouge qui me rappelle ces vieilles cités anglaises mornes et complètement délabrées.
    Sur ma gauche, une allée avec tout plein de voitures garées, quelques arbres épars aux branches nues… cela manque de couleurs, de saveurs… et en même temps c’est un hôpital… pas les jardins de Versailles. Ce paysage est chargé de mélancolie ou alors c’est mon regard qui le déforme à souhait.

    Je franchis le seuil du service. Je ne le sais pas encore, mais alors que ma visite ne devait durer que quelques heures, je ne repasserai cette porte que 5 mois plus tard.

    A.

  • « Accroupie dans moi-même »

    « Accroupie dans moi-même »

    Je me souviens que je n’aurais pas voulu qu’un jour je puisse me souvenir de ce jour. Et pourtant… ce jour est resté gravé dans ma mémoire comme une cicatrice, qui avec le temps s’atténue jusqu’à disparaître complètement… C’était une très belle journée, d’un été tardif. Le soleil fort m’empêchait de tenir les yeux ouverts pour regarder le trajet que l’ambulancier parcourait, me transportant du service de nutrition jusqu’au service de TCA (Troubles des conduites alimentaires).

    Il faisait très chaud, tellement chaud que sur le front de mon pauvre transporteur de marchandise vivante, coulaient des gouttes salées de transpiration, contrairement à cette gaieté extérieure, à la brillance des choses environnantes. Je me souviens que moi j’étais très fermée, accroupie dans moi-même, comme dans une prison : le corps, la prison de mon esprit, comme les esclaves du grand Michel-Ange. Une fois arrivée dans l’unité, dont le nom Lhermitte semblait être destiné, en syntonie avec mon état d’esprit.

    Une infirmière m’a pris en charge en me présentant de manière plutôt succincte le service, puis, encore, ses collègues, infirmiers, aides-soignants. Elle a rédigé de manière détaillée le compte-rendu de mes affaires, de tous les objets que j’avais rassemblés dans une petite valise : vêtements, produits d’hygiène personnelle, livres, beaucoup de livres. Grâce à tous ces livres, j’espérais me transposer dans une autre dimension, loin du blanc froid inerte de l’hôpital. S’évader. S’évader pour résister.

    Une fois achevé le compte-rendu, l’infirmière a quitté la chambre. Je suis restée avec le regard perdu sur la porte qui se fermait et qui m’enfermait. Lasciate qui speranza, voi che entrate… (Laissez tout espoir, vous qui entrez)

    M.

  • « Un étage et une éternité plus tard »

    « Un étage et une éternité plus tard »

    Je me souviens, c’était un lundi. Le 27 septembre 2021. Il était 10h30 passées et on m’attendait pour 10h. La voiture chargée de mes affaires et maman au volant, après plus d’une heure trente de route, voilà que je franchis la barrière de l’hôpital. La boule au ventre, la gorge nouée, je sens les larmes monter. Maman traîne ma valise et moi je la suis, la tête penchée en avant, les yeux rivés sur le sol, perdue dans mes pensées. Je ne prête pas attention à ce qui m’entoure et je ne dis pas un mot de peur d’éclater en sanglots.

    Lorsque je relève enfin la tête, je me trouve devant la porte n° 4. Un panneau en métal semble parfois bouger au gré du vent. Un échange de regards, un timide « à bientôt » et me voilà dans l’ascenseur. Ma valise à la main, mon sac sur le dos, je fixe maman le temps que les deux portes métalliques se referment devant moi. « Tchaq ». Un étage et une éternité plus tard, les portes s’ouvrent à nouveau laissant apercevoir un immense couloir rectiligne aux murs salis et ternis par les années et la souffrance.

    Je suis perdue et je ne sais pas où aller. Je reste figée quelques secondes avant que quelqu’un croise mon chemin et me mène jusqu’au poste de soins. Après un passage aux admissions pour régulariser ma situation et me faire enregistrer, il est temps de découvrir ma chambre. C’est la 27, juste en face de la salle à manger : une porte bleue, usée par les années, munie d’un hublot en forme de losange. Un tour de clé et la porte s’ouvre sur une petite pièce sombre : un lit, une armoire, une étagère, un bureau, une chaise et un fauteuil. Des murs gris, gris hôpital. Des murs entre lesquels je vais rester pour une certaine durée. Des murs que je m’empresse d’égayer avant même de m’installer. Des murs au sein desquels aujourd’hui je me sens bien et je tente de reprendre peu à peu confiance.

    A.