Auteur/autrice : admin

  • « Certains visages finissent par devenir familiers »

    « Certains visages finissent par devenir familiers »

    Vendredi, 16H25 : voilà plusieurs heures que je vois défiler les silhouettes devant moi, dans un sens ou dans l’autre, entrée, sortie. « Bonjour, au revoir. Puis-je voir votre passe ? Merci monsieur, merci madame ». J’ose parfois lancer un « bonne journée » si le cœur m’en dit. Certains visages finissent par devenir familiers. Ils se répètent au fil des jours, aux mêmes horaires, au même rythme. J’observe parfois un regard, un sourire, un maussade, un préoccupé…

    J.

  • « Qu’est ce que c’est long bon Dieu, mais qu’est-ce que c’est long…. »

    « Qu’est ce que c’est long bon Dieu, mais qu’est-ce que c’est long…. »

    « Qu’est ce que c’est long bon Dieu, mais qu’est-ce que c’est long…. » Assis dans mon aquarium de 2m2, je regarde encore une fois le défilé qui pavane devant moi. Chaque soir, le même empressement autour du retour à la réalité. Chaque soir, depuis mon vivarium, je regarde passer, serpent de fer, le convoi de la liberté. Animal en captivité observant silencieusement l’évasion des soignants animaliers, j’adresse un signe de la main ici et là, parle avec les bras.

    « Ça va ? Oui ça va. Au revoir ! Au revoir ! » Demain le même spectacle, c’est un défilé dont la collection ne se renouvelle jamais. Un à un, je les laisse s’échapper, prendre leur envol, oiseaux. Puis la représentation achevée, j’éteins la salle et je ferme les rideaux.

    A.

  • « Pour chaque voiture, je répète les mêmes gestes et paroles »

    « Pour chaque voiture, je répète les mêmes gestes et paroles »

    Je suis l’agent de sécurité de l’hôpital Paul Brousse : chaque matin je prends mon poste à 6h30. Les premières voitures défilent, ce sont les infirmières et les aides-soignants qui arrivent toujours en premier, eux les médecins n’entrent dans l’enceinte de l’hôpital qu’à partir de 8h30. Pour chaque voiture, je répète les mêmes gestes et paroles. Je fais ainsi stopper tous les véhicules devant la barrière de sécurité. Je vous dit « la barrière », mais en réalité, il y en a 2, une à droite et une à gauche. Celle de droite est réservée aux soignants qui avec leur bip rentrent rapidement dans les ruelles qui parcourent l’hôpital Paul Brousse.

    La barrière de gauche est réservée à ceux qui n’ont pas le Bip ou les visiteurs. Pour eux je leur concocte un traitement particulier. Chaque voiture doit donc s’arrêter devant ma guérite, je demande à chaque personne de mon montrer son passe, puis je demande au conducteur d’ouvrir son coffre afin d’y vérifier le contenu. Lorsque que se présente devant moi une ambulance il me faut faire les mêmes demandes, mais au lieu du coffre qui est comme vous pouvez l’imaginer inexistant, je demande ou même j’ouvre moi-même la porte coulissante qui permet d’accéder à l’arrière du véhicule et de vérifier le contenu. Une fois toutes ces vérifications faites j’appuie chaque fois sur le même bouton qui se situe à l’intérieur de ma cahute afin de lever la barrière et de permettre au véhicule de rentrer. Chaque jour durant mes heures de travail je refais ces faits et gestes avec toujours le sourire et la gentillesse qu’il se doit.

    M.

  • « Combien de fois ai-je répété cette phrase aujourd’hui ? »

    « Combien de fois ai-je répété cette phrase aujourd’hui ? »

    Mon collègue termine sa blague et rigole. J’émets un petit rire, forcé, car je n’ai pas écouté et puis c’est toujours un peu les mêmes blagues. Je les connais depuis le temps… Ce n’est pas que je l’aime pas mon collègue, plutôt le contraire, il me rend la journée de travail plus facile. Mais là je suis fatigué, j’ai vu je ne sais combien de personnes à qui j’ai dû dire « Bonjour », leur demander le passe, leur donner la direction pour les aider à s’orienter dans l’hôpital.

    Et puis il fait froid et j’aimerais rentrer chez moi, au chaud maintenant. Les gens sont d’ailleurs plus nombreux à sortir de l’hôpital qu’à rentrer. Je leur lance des petits « Au revoir », c’est à peine s’ils m’entendent, s’ils font attention, eux aussi ne pensent qu’à rentrer. Mais voilà qu’un homme arrive pour rentrer dans l’hôpital.

    – Bonsoir, Monsieur, votre passe sanitaire s’il vous plaît !
    Combien de fois ai-je répété cette phrase aujourd’hui ?
    – Ah oui, c’est vrai !

    Il a oublié de dire bonsoir. Il est un peu perdu, assez stressé. Il cherche son téléphone, ouvre l’appli et me montre son QR code. Je le scanne avec ma machine.
    – Merci, vous pouvez passer.
    – Merci, au revoir.
    – Au revoir.
    Je le regarde partir, mais ça se voit, il ne sait pas où aller. J’attends un peu, mais il continue son chemin alors je reviens vers mon collègue et m’assois sur la table.
    – Plus que 30 minutes et tu vas pouvoir rentrer chez toi mon pote.
    – Oui, on l’aura bien mérité.

    C.

  • « Derrière mon masque, moi je souris, ce qui n’est pas vraiment le cas des gens que je croise… »

    « Derrière mon masque, moi je souris, ce qui n’est pas vraiment le cas des gens que je croise… »

    18h00, fin de journée pour moi, et oui je suis en poste depuis 8h du mat’. J’ai dû ouvrir et fermer la barrière des centaines de fois. Les « Bonjour » et « Bonne journée », je ne les compte même pas. Derrière mon masque, moi je souris, ce qui n’est pas vraiment le cas des gens que je croise : des patients, des médecins, des ambulanciers, des visiteurs, des gens pressés, d’autres perdus, énervés ou totalement perchés. « Bonjour madame, vous venez pourquoi ? Votre passe sanitaire s’il vous plaît ! Je vais vous demander de bien vouloir ouvrir votre coffre s’il vous plaît ! C’est bon tout est parfait. Bonne journée à vous ».

    Je le connais par cœur ce foutu discours, mon discours, celui que je répète à longueur de journée. Il n’y a pas vraiment de temps mort ici. La barrière doit être crevée, je me demande bien comment elle fait pour tenir toute la journée, et la nuit aussi, car il n’y a pas vraiment de répit par ici. Une ambulance s’amène, gyrophares et tout le tintouin. Pas vraiment le temps de discuter, j’actionne l’ouverture de la barrière et la voilà qui file. Ah les urgences… Pas de chance, aujourd’hui c’est jour de pluie. Ah, qu’est-ce que je les maudis ces jours gris. La flotte tombe à grand bruit sur mon cabanon et je me prends une douche à chaque contrôle de coffre. Sans compter sur l’humidité : c’est moite et ça sent mauvais.

    Faut dire que la guérite n’est pas totalement étanche. Mais bon, faut pas s’en plaindre, on a un toit au-dessus de la tête, c’est mieux que d’être en plein vent toute la journée hein ! Ah ça y est j’aperçois Jean-Philippe au loin. Jean-Phi c’est mon collègue, celui qui me relève pour la nuit. Un vrai bosseur ce type, un gars bien, ça c’est clair. Une poignée de main et une accolade, ça me réchauffe par ce froid glacial. Comme à notre habitude on boit le café ensemble. Un café serré pour nous réchauffer, pour discuter. 18h30 fin de service : j’enlève ma casquette de garde-barrière pour retrouver celle d’époux et de père de famille.

    A.

  • « Rejoindre le panorama et regarder l’aube se lever »

    « Rejoindre le panorama et regarder l’aube se lever »

    Réveil matinal, parfois brutal.
    Rejoindre le panorama et regarder l’aube se lever,
    Grandiose, océan de beauté,
    Moment crucial.
    Courir, toujours plus, toujours plus loin
    Et laisser derrière soi le quotidien.
    Sentir l’air frais sur ma peau,
    Accélérer le temps.
    Le soleil s’est levé,
    Cette boule de feu qui illuminera la journée.
    Aller en forêt,
    Parcourir des lieux et des lieux,
    Au détour des marais.
    S’arrêter et regarder le temps passer, savoureux.
    S’allonger dans l’herbe fraîche,
    Laisser doucement la flammèche
    Du bonheur s’allumer.
    Laisser l’éternité passer,
    Jusqu’au soir.
    Regarder le soleil se coucher, la nuit tomber.
    Compter chaque étoile qui s’allume.
    Observer les volutes de la brume,
    Fermer les yeux.

    L.

     

  • « C’est le jour de tout ce que ma procrastination m’a fait repousser »

    « C’est le jour de tout ce que ma procrastination m’a fait repousser »

    Je n’aime pas le dimanche. Le dimanche, pour moi, c’est la fin de la semaine, du week-end, du repos. C’est le jour des lessives, du ménage, de tout ce que ma procrastination m’a fait repousser jusqu’à ce jour butoir. Alors un dimanche idéal pour moi ce serait un samedi. Une journée que je débute par une grasse matinée, salvatrice, après une semaine de labeur.
    Le réveil se fait long, doux, léger, au rythme de la lumière qui baigne de plus en plus mon appartement. Un café à la main, lové dans mon fauteuil, je profite du calme de la fin de matinée, et songe à toutes les possibilités qu’un dimanche après-midi peut m’offrir.

    J.

  • « Souffle la bougie, je ne veux pas voir la couleur de mes idées »

    « Souffle la bougie, je ne veux pas voir la couleur de mes idées »

    « Demain c’est fini ». Au fond de mon lit, l’inéluctable vérité m’écrase tel un rocher, pèse de tout son poids sur ma tranquillité. Demain c’est lundi. Il faudra tout recommencer, survivre chaque journée, subir patiemment le temps, jusqu’à la délivrance. Puis ce sera à nouveau lundi. Il y a pire que le jour de l’exécution : la veille. Il va falloir se lever, trainer tout le long de ce sursis, pleinement conscient de l’approche de la sentence et du temps restant gaspillé en l’attendant. Il n’y a rien à faire, il n’y a que le gris, le blues et l’ennui. Je reste cachée encore un peu au fond du lit. La chambre est noire. « Souffle la bougie, je ne veux pas voir la couleur de mes idées ». Soupire.

    Puis soudain, rai de lumière : tel un archange venu annoncer la bonne nouvelle, maman entre dans un halo de soleil, annihile les ténèbres internes et externes. « Bébé ! On est invitées chez tonton Pascal pour midi ! Tu viens te préparer ? » Son sourire est si gai, son amour si évident, d’un seul coup la lumière en entrant dans ma chambre pare d’une beauté multicolore mes mornes pensées. « Trop bien ! J’arrive ! Youpiiii »

    Ma mère rit et part se préparer, si guillerette que j’en ai envie de danser. Cette bonne nouvelle vient de me tirer de mon trou au sens propre et figuré. Je laisse entrer le soleil par la fenêtre, dévale en souriant, galopant et trépignant l’escalier. Dans la salle de bain, tout le monde est affairé ; on se pomponne, on s’habille… On se fait toujours un peu jolies chez tonton Pascal. Je m’apprête et me réjouis à la perspective de ce qui aurait dû être un jour gris. Le voilà tout bariolé de gaieté.

    En bas, maman emballe les bons plats qu’elle a préparés. Elle est belle et parfumée. L’ambiance est au rire et à la légèreté. Là bas il y aura mes grands cousins, ma grande cousine, mes tontons, mes tatas et autres parents. Il y aura un vinyle sur le vieux tourne-disque, des conversations, des verres à moitié pleins et la chaleur du bon feu. On parlera, on débattra, on ne sortira pas de table avant 16h. Je me sentirai bien. Demain n’existera pas je serais chez moi.

    A.